En réponse à la censure d'un message du Président Buhari par Twitter1 , le Nigéria a riposté en suspendant Twitter sur son territoire en juin dernier. Les réactions ont pratiquement toutes été les mêmes : seule la suspension de Twitter a été condamnée. Osai Ojigho, Directeur d'Amnesty au Nigeria a condamné une suspension portant atteinte à la liberté d'information et d'expression des nigérians2 . Et Twitter a publié un message3 rappelant qu'un internet libre et ouvert était un droit fondamental.

De même, une dépêche AFP se focalisait sur le fait que la suspension de Twitter constituait une censure4 , et publiait un communiqué commun5 du Canada, de l'Union Européenne, de l'Irlande, du Royaume Uni et des États-Unis critiquant la suspension et rappelant leur soutien à la liberté d'expression et d'information.

Aucun media et aucun pays n'ont critiqué le fait que le Président Nigérian ait initialement été censuré par une entreprise commerciale états-unienne. Seul un article de l'IFREI analysait le problème plus en profondeur, montrant le caractère cyber-colonial de la censure des Big Tech.

Puis au mois d'août Adaobi Tricia Nwaubani publiait un article sur le site de la BBC6 , dénonçant elle aussi la politique de Twitter. Pour la journaliste et essayiste nigérianne, le constat est sans appel: "Est-il normal qu'une entreprise privée américaine ait le pouvoir de modifier, sans autorisation, la communication officielle d'un président démocratiquement élu d'un pays africain ?  Il n'y a pas plus néocolonial que cela."

Néo-colonial est un terme qui peut sembler fort, mais cela correspond à une réalité à bien percevoir : une entité commerciale états-unienne s'arroge le droit de juger et censurer les propos de citoyens africains, se subsitutant ainsi de facto à la justice de ces pays. Comment se fait-il que le communiqué conjoint des occidentaux n'ait pas mentionné ce fait? Comment peut-on prétendre défendre la liberté d'expression quand on laisse des entreprises commerciales la bafouer? Comment la direction de Twitter peut-elle prétendre expliquer l'importance d'un internet libre et ouvert quand ses modérateurs censurent des citoyens partout dans le monde en se subsitutant à leurs justices, démocratiquement légitimes?

Adaobi Tricia Nwaubani précise que Twitter a le droit d'appliquer ses règles, mais que le message de M. Buhari relevait d'une communication officielle faite par le chef de l'État. C'est le seul point sur lequel notre analyse diffère : Twitter n'a strictement aucune légitimité démocratique, et n'a fondamentalement pas le droit d'appliquer ses règles, que ce soit pour le Président de la République, ou pour le simple citoyen. Aucune entreprise commerciale ne peut prétendre se substituer à la justice pour déterminer ce qui peut ou non se dire. Que l'intervention de la  justice nécessite des moyens, cela reste un problème matériel qui peut être simplement résolu, par exemple par une taxe sur les Big Tech. C'est le prix des souverainetés numériques africaines7 .