En décembre dernier, deux journalistes togolais, Ferdinand AYITE et Joel EGAH, ont été arrêtés puis placés en détention à la suite d'une émission sur une chaîne youtube, avant d'être libérés le 31 décembre. Le principal problème commenté lors de cette affaire est celui de la dépénalisation des délits de presse au Togo. Mais les faits reprochés aux deux journalistes ont été commis sur youtube, et une loi togolaise récente précise que ces faits, s'ils sont commis sur des réseaux sociaux, ne relèvent pas du droit de la presse, mais du droit commun.

Pour autant, plusieurs problèmes important n'ont pas été mentionnés dans la presse. Un aspect positif de cette affaire est que Ferdinand AYITE et Joel EGAH ont accès à la justice de leur pays. Cela peut sembler paradoxal de voir cela comme un fait positif, mais il est nécessaire de prendre conscience du fait que les Big Tech états-uniennes comme Facebook ou Twitter censurent leurs réseaux sociaux selon leurs propres règles, et dictent à des miliards d'utilisateurs ce qu'ils ont le droit de se dire ou pas. Plusieurs dirigeants africains en ont fait les frais : le président nigérian a été censuré par Twitter, et le premier ministre éthiopien a été censuré par Facebook. La censure privée imposée par les Big Tech américaines se substitue aux justices -notamment africaines- et porte atteinte aux souverainetés numériques des États.

Ainsi, quand Trace Foundation fait du lobbying auprès du département d'État US pour faire exercer des pressions sur les institutions togolaises, on peut douter de la crédibilité du discours états-unien: comment  donner des leçons de liberté d'expression quand le premier amendement de la constitution US est utilisé pour justifier le droit des Big Tech à censurer à leur guise plusieurs milliards d'individus dans le monde en se substituant aux justices de leurs pays?

Un second problème est lié à la possibilité d'utilisation des réseaux sociaux par la presse : dans l'affaire AYITE, une revendication de la presse est que l'utilisation de ces réseaux sociaux par les journalistes relèvent du droit de la presse. En pratique la possibilité d'utilisation des réseaux sociaux permet le développement économique de la presse, ce qui est d'une importance stratégique pour de nombreux États africains : l'exemple de la République Centrafricaine montre que la faiblesse des revenus des journalistes permet à des entité étrangères (en l'occurrence la nébuleuse russe de Prigogine) d'acheter les journalistes à des fins de propagande et de manipulation des opinions publiques. La possibilité de développement de la presse en ligne permet donc de renforcer les résiliences face aux opérations de déstabilisation menées par des puissances étrangères.

Un autre problème est celui de la distinction entre journalistes et blogueurs ou vlogueurs : le problème n'est pas que les journalistes bénéficient du droit de la presse lors de leur utilisation des réseaux sociaux, il est plutôt que tant les journalistes que les blogueurs ou journalistes citoyens doivent bénéficier de la même protection juridique lorsqu'ils utilisent ces réseaux. De fait, historiquement, le développement d'Internet a donné à tous une possibilité jusque-là réservée aux journalistes : informer le public. Rien ne peut justifier que les blogueurs n'aient pas les mêmes droits que les détenteurs de cartes de presse. On peut par exemple citer le mauvais exemple de la France, où seuls les journalistes ont le droit de publier des vidéos de violences policières sur Internet. Le Plan d'action des Nations Unies sur la sécurité des journalistes le précise explicitement : "la protection des journalistes ne doit pas se limiter à ceux qui sont officiellement reconnus comme tels mais aussi bénéficier à d’autres personnes, dont les travailleurs des médias communautaires et les journalistes citoyens et autres personnes qui peuvent se servir des nouveaux médias pour atteindre leurs publics."