Si en arrivant en République centrafricaine la nébuleuse Prigogine a rapidement investi dans la propagande et le contrôle des médias, au Mali, c'est la junte militaire qui veut utiliser les médias. La presse Bamakoise mentionne les journées d'échange armée-presse qui ont eu lieu les 10 et 11 février dans le but d'établir une relation de partenariat entre les patrons de presse et l'armée malienne.

Depuis le dernier coup d'État militaire, l'armée malienne intervient de plus en plus dans le fonctionnement de la société civile : sur thedailybeast1 , Philip Obaji révélait que dès le lendemain du coup, la manifestation pro-russe du 27 mai avait en fait été organisée par les militaires à la base de Kati.

Avec ces journées d'échange, l'armée malienne souhaite que les médias "augmentent les couvertures médiatiques positives" sur les FAMA, et les aident dans "leur guerre d’information et de communication à outrance". Les organisateurs dénoncent en particulier les "campagnes de désinformation et d'intox" contre les FAMA et, pour les contrer, se demandent "Comment transformer toutes les actions de l’armée malienne en victoires totales et éclatantes". Et les objectifs vont au-delà du Mali, puisqu'il s'agit "aussi augmenter l’estime de l’opinion publique nationale et internationale pour les Forces de défense et de sécurité du Mali."

Adama Diabata a affirmé que les journalistes sont des acteurs de la guerre, et qu'ils "doivent savoir édifier les populations dans un flot d’informations qui doivent être contextualisées avant diffusion". Il a aussi proposé la mise en place de la charte de bonne conduite dans les rédactions pour aider les journalistes à mieux travailler. Un officier retraité a pour sa part expliqué que "le rôle du journaliste est de protéger les Forces armées pour leur permettre de combattre l’ennemi".

Les compte-rendus de ces journées d'échange donnent l'impression que des officiers maliens ont été formés à la guerre hybride, et plus exactement à la doctrine de la "guerre des quatre pâtés" (Four Block War) de Mattis et Hoffman. Schématiquement, c'est Charles Krulak qui a initialement proposé le concept de guerre des trois pâtés (Three Block War) pour décrire la réalité des forces américaines lors de leurs opérations en Somalie ou d'en d'autres failed states : dans un quartier elles doivent faire la guerre,  dans un autre faire de l'humanitaire, et dans le dernier, du maintien de la paix. A ces trois blocs, Mattis et Hoffman ajoutent un quatrième, destiné aux opérations psychologiques et informationnelles. Pour Mattis et Hoffman, ces opérations doivent viser les populations civiles, qui doivent être débarassées des idéologies propagées par des insurgés, et une information opérationnelle réussie "aide les populations civiles à comprendre et accepter le meilleur futur que l'armée cherche à construire avec elles".  Cela étant, Walter Dorn et Michael Varey ont décrit l'échec de la doctrine des quatre pâtés, en particulier parce qu'elle génère une confusion des rôles : par exemple, ce n'est pas à l'armée de faire de l'humanitaire, mais aux humanitaires.

Et dans le cas de l'armée malienne, il semble y avoir aussi une confusion des rôles, et une volonté d'utiliser les journalistes comme des supplétifs devant supporter les opérations informationnelles de l'armée. En Centrafrique, quand le Président Touadéra a nommé Valéry Zakharov conseiller de  la présidence, ce dernier aurait fait venir des spécialistes de la propagande et de la communication politique2 , et organisé la diffusion massive d'articles pro-russes. L'ONG Linga Tere confirme que les journalistes peuvent gagner 20.000 CFA par article pro-russe ou anti-français. Dans le cas du Mali, ce serait l'armée qui utiliserait les médias. Ce qui pose deux questions : les militaires rémunèreront-ils aussi les journalistes pour des articles pro-junte? Et, en creux : que risquera un journaliste ou un directeur de publication pour un article anti-junte, ou rappelant les bienfaits de la démocratie?