L'autorégulation des Big Tech (Facebook /Meta, Twitter, Youtube...) est un concept en vogue. Il heurte cependant frontalement l'accès à la justice (un droit  fondamental), et trahit une méconnaissance de l'histoire de la lutte pour les droits fondamentaux sur Internet.

Il y a une vingtaine d'année, la directive Européenne 2000/31CE sur le commerce électronique affirmait que les intermédiaires techniques d'Internet n'étaient pas responsables juridiquement pour les contenus publiés sur Internet s'ils les supprimaient dès qu'ils étaient avertis de leur caractère illicite. Il était alors compris que c'est le juge qui détermine si un contenu litigieux est illicite ou non.

Ensuite, le mp3 et les réseaux peer to peer sont apparus, et les industries culturelles (musique dans un premier temps, puis cinéma) ont alors décidé de modifier la loi de façon à interdire le téléchargement de musique sur Internet.

Leur lobbying a culminé lors de la transposition de la directive en droit français, visant à obtenir que ce soient les hébergeurs qui jugent et censurent les contenus mis en ligne, et qu'ils soient juridiquement responsables s'ils ne le faisaient pas. L'amalgame entre litigieux et illicite leur permettait d'imposer aux hébergeurs de se substituer à la justice. Et le projet de loi ne faisait pas la différence entre les contenus : musique, ou article, tout contenu devait être jugé par les hébergeurs.

Ils n'avaient cependant pas l'obligation de surveiller la publication des contenus. Et dans le cas où un contenu était hébergé hors de France, les fournisseurs d'accès devaient prendre le relais en filtrant les contenus.

Les internautes français ont fortement combattu cette transposition, qui menaçait leur liberté d'expression, et leur droit d'accès au juge puisque les hébergeurs devaient juger les contenus à la place du juge. En 2004, le conseil constitutionnel français a cependant limité la portée de la loi en imposant aux hébergeurs de ne juger et censurer que les contenus "manifestement illicites" : Incitation à la haine, négationnisme, contenus pédophiles. Au plus grand dam des industries culturelles puisque la musique et les films ne rentraient pas dans cette liste.

Puis les réseaux sociaux comme Facebook et Twitter ont commencé à se développer. Peu à peu les responsables politiques et les parlementaires ont découvert Internet, jusqu'à l'élection de Donald Trump. En froid avec les journalistes, Trump fut alors le premier Président à utiliser assidûment les réseaux sociaux. Puis la campagne présidentielle suivante devint conflictuelle et controversée, culminant avec une contestation de la validité des résultats.

De nombreux américains -en l'occurrence démocrates- rendirent alors Twitter et Facebook responsables de la propagation des accusations de fraude électorale, et d'incitation à la violence. Ce mouvement a popularisé un nouveau concept : l'auto-régulation des Big Tech. Schématiquement, si des messages litigieux sont postés sur les réseaux sociaux, les Big Tech devraient avoir l'obligation de juger et censurer ces messages. Donc, encore une fois, de se substituer au juge.

Manifestement, personne ne s'est souvenu du combat des internautes français pour la défense de leur liberté d'expression et de leur droit fondamental à être jugé par un juge, et non par une société privée. Et les démocrates et certaines ONG états-uniennes ont préféré sacrifier l'accès au juge et le droit à un procés équitable, au nom de la lutte contre la droite ou l'extrême droite états-unienne.

Puis Donald Trump a été censuré par les Big Tech. Et a décidé de développer son propre réseau social. A ce stade, le problème restait un problème intérieur. Mais Twitter a ensuite censuré le Président Nigérian. Puis Facebook a censuré le Premier Ministre Ethiopien. Ce qui a mis en évidence le problème fondamental du concept d'auto-régulation des Big Tech : c'est un concept cyber-colonial et néo-colonial, qui menace la souveraineté numérique des démocraties.