Avec le développement global d'Internet, tout pays est dorénavant confronté à trois sortes de menaces informationnelles en provenance d'acteurs extérieurs étatiques ou non-étatiques : censure, surveillance, et manipulation. Dans chaque pays les cibles de ces menaces sont : l'opinion de ses citoyens, leur capacité de pouvoir l'exprimer, et leurs données personnelles ainsi que les données confidentielles de ses institutions et opérateurs économiques. Ces cibles relèvent toutes de sa souveraineté numérique, qui est une composante de la souveraineté, au même titre par exemple que la souveraineté monétaire.

Censure et Big Tech

Le nombre d'utilisateurs de réseaux sociaux exploités dans le monde par les Big Tech États-uniennes a connu une très forte croissance ces dernières années, au point que Facebook va bientôt atteindre les trois milliards d'utilisateurs dans le monde. Le problème est que nombre de ces réseaux sociaux censurent leurs utilisateurs selon leurs propres règles, et se substituent à la justice des pays des utilisateurs qui est par principe la seule à avoir la légitimité pour juger les messages des utilisateurs, et, le cas échéant, ordonner leur suppression.

Il y a dons une atteinte massive au droit fondamental des utilisateurs à un procès équitable, mené par une justice légitime, et non par une entreprise commerciale privée. Évidemment, l'intervention de la justice a cette échelle nécessite des moyens, mais : d'une part c'est le prix de la justice et de la souveraineté, et d'autre part, ces moyens pourraient provenir de taxes sur les Big Tech, qui font des bénéfices commerciaux considérables en exploitant les échanges d'idées entre personnes à l'échelle globale.

Par ailleurs, censurer certains messages, et en laisser circuler d'autres, c'est une façon de façonner les opinions : En pratique, Facebook a aujourd'hui un tel pouvoir à l'échelle mondiale. Et cela constitue une menace pour de nombreuses démocratie. Facebook et Twitter n'ont par exemple pas hésité à censurer des dirigeants africains, au Nigeria, et en Éthiopie.

Surveillance, Big Tech et fournisseurs d'accès,

Les Big Tech recueillent aussi de nombreuses données personnelles des utilisateurs pour les exploiter à des fins commerciales, ce qui porte atteinte à leur vie privée, voire à leur sécurité. Facebook a récemment menacé de suspendre ses activité en Europe, au prétexte que l'Union Européenne lui demandait de respecter la loi européenne sur la protection des données personnelles des citoyens européens

Un autre type d'acteurs peut surveiller les données personnelles des utilisateurs : les fournisseurs d'accès à Internet (FAI). Les FAi peuvent enregistrer les activités de tous leurs abonnés sur internet, c'est ce qu'on appelle les logs de connexion. Ces logs permettent de savoir énormément de choses sur les utilisateurs, sur leur vie privée, leurs opinions politiques, etc. Même les services de renseignement d'un pays souhaiteraient que leurs parlementaires les autorisent à accéder aux logs de connexion des FAI. Le problème est quand un pays fait appel à un FAI  étranger pour développer internet sur son territoire : ce FAI étranger va ainsi pouvoir récolter une immense quantité de données confidentielles des utilisateurs, du simple citoyen, jusqu'à la Primature ou la Présidence. Ce risque concerne aussi la téléphonie et les smartphones : pensez-vous que Huawei offre des smartphones dans les primatures de façon totalement désintéressée?

Par ailleurs, le recueil des données personnelles, ou l'obligation de divulgation a un autre effet : l'auto-censure. C'est ce qu'on appelle le chilling effect. Et cela est en particulier provoqué par la  "Real Name Policy" qui impose aux  utilisateurs de Facebook d'utiliser leur nom réel. Facebook ignore volontairement que cette politique peut mettre en danger la vie des utilisateurs dans certains pays, comme l'Afghanistan. Le seul moyen de se préserver est alors de s'auto-censurer : la politique de Facebook génère donc de la censure. Et, encore une fois, cela modifie les opinions publiques, et porte atteinte aux valeurs de la démocratie.

Manipulation on line, trolls russes et algorithmes

Dernière atteinte aux souverainetés numériques, et pas la moindre : la manipulation des opinions menée par des acteurs notamment russes sur les réseaux sociaux. Il s'agit là d'opération offensives, hostiles, visant à s'immiscer dans des élections, ou à manipuler les opinions à des fins d'influence politique ou d'obtention d'accès à des ressources naturelles. Un acteur s'est notamment fait remarquer dans ce domaine : Evgueny Prigogine, un proche de Vladimir Poutine à la tête d'une nébuleuse de sociétés dont les activités vont de la ferme à Trolls propagandistes (en Russie, au Ghana...), au contrôle des médias et à l'exploitation de mines en Afrique, en passant par le mercenariat (ex: le groupe Wagner), qui permet d'une part de garantir l'accès aux mines convoitées, et d'autre part de protéger le régime qui a proposé cet accès.

Ces opérations russes sont extrêmement dommageables d'une part pour les victimes des opération de manipulation -puisqu'elles constituent une forme d'asservissement exploitant les crédulités- et d'autre part, plus largement, parce que l'existence de ces pratiques étatiques ou para-étatiques relevant de la guerre hybride incitent à surveiller encore plus les données des utilisateurs d'Internet : la propagande russe porte donc -indirectement- aussi atteinte à la vie privée des utilisateurs.

Enfin, les réseaux sociaux (mais aussi les moteurs de recherche ou d'actualité) utilisent des algorithmes ou des intelligence artificielles opaques pour mettre en avant certaine contenus. C'est comme cela que vous recevez des suggestions de contenus dérangeantes ou insensées sur votre feed Facebook, et que pour des raisons commerciales certains types de contenus vous sont imposés sans que vous les ayez demandés.