Après une reprise en main des médias bamakois par la DIRPA, le pouvoir malien a décidé de censurer RFI et France 24, en invoquant une campagne de désinformation à l'encontre des FAMA. Reporters sans frontières1 a dénoncé cette censure : "La junte militaire au pouvoir a annoncé engager des procédures pour suspendre les deux médias internationaux français après des révélations sur les exactions commises par l’armée malienne et ses supplétifs russes."

Cette décision intervient à la suite de la publication d'enquêtes sur des exactions au Mali mentionnant des témoignages de civils rapportant des exécutions sommaires et des actes de torture impliquant les FAMA et des militaires blancs non francophones.

Témoignage rapporté par RFI: "ils étaient une quarantaine - trois véhicules, quelques motos et tout le reste à pieds. Il y avait beaucoup de blancs avec eux. ... Ils parlaient entre eux une langue que je ne connaissais pas. Ce n’était pas du français. Eux, ils avaient des tenues militaires très claires. Tout de suite, ils ont commencé à tirer dans tous les sens. ... Ils ont mis le feu à toutes les maisons. Les vieux qui étaient restés ont été abattus ou brûlés dans leur maison".2

Témoignage rapporté par Human Rights Watch : "Les militaires ont traîné deux octogénaires et quatre autres personnes jusque sur le lieu de l’explosion de la mine et ils les ont exécutés sur place", "des militaires ont tué cinq civils. Trois des victimes semblent avoir été tuées d’une balle dans la bouche. Deux villageois étaient des personnes âgées, dont une a été brûlée vive chez elle".3

Témoignage rapporté par Le Monde : un berger raconte qu'un homme blanc vêtu du "même uniforme que les FAMA", l’a "forcé à boire beaucoup d’eau" avant qu'un soldat malien "attache un câble électrique autour des orteils" et fasse "passer le courant, plusieurs fois".4

Mais au-delà de ces exactions, le pouvoir malien avait commencé à cornaquer les médias bamakois le mois dernier, en leur demandant pratiquement d'assurer la communication des FAMA et de vanter leurs succès. Cette politique a pour conséquence que ces médias ne couvrent plus les échecs des FAMA.

Cela a été le cas notamment pour les massacres de Tamalat et d'Inchinanane, au cours desquels des dizaines de civils de l'Azawad on été tués par l'EIGS sans intervention des FAMA. Le pouvoir malien n'a pas non plus apporté de soutien au réfugiés5 qui avaient réussi à fuir ces massacres. Les medias occidentaux n'ont pas non plus évoqué ces massacres. Seuls RFI et France 246 - les deux médias censurés par Bamako-  avaient finalement parlé de ces massacres deux jours plus tard. RFI mentionne en particulier l'absence de réaction des FAMA, et le fait que ni les FAMA ni le Ministère de la défense malien7 n'ont accepté de leur répondre.

La  censure de RFI et France 24 permet donc d'offusquer non seulement les témoignages d'exactions8 contre des civils, mais aussi les échecs ou l'incapacité des FAMA alors que le pouvoir malien compte sur la presse pour diffuser un narratif vantant les progrès et les succès des FAMA.

Les FAMA et le pouvoir malien ne sont pas les seuls bénéficiaires de cette censure : avec l'interdiction de RFI et France 24, la population malienne ne recevra plus d'informations critiques de la guerre en Ukraine. Or cette guerre est une guerre de colonisation visant à étendre le territoire russe. Et elle est vécue comme tel par les ukrainiens, ce que Volodymyr Sheiko9 exprime très clairement : " l'invasion russe est une guerre néocoloniale contre un pays souverain et pacifique". Or la Russie a besoin de soutiens internationaux, ou au moins de pouvoir bénéficier d'une certaine neutralité. Et c'est précisément en Afrique que le Kremlin cherche ces soutiens: les populations africaines ne doivent pas voir que cette guerre est une invasion coloniale. Une censure des médias occidentaux protège donc le pouvoir malien, qui est pro-russe, contre un excès de réflexion de sa population sur  la politique coloniale de Vladimir Poutine. Cette censure bénéficie donc in fine aussi au pouvoir Russe.

Par ailleurs, le pouvoir malien nie constamment la présence de mercenaires russes, et mentionne la présence de militaires russes. A première vue, ce débat importe peu puisqu'en pratique il suffit de changer un écusson sur un uniforme pour changer un mercenaire en soldat conventionnel, et inversement. Cela étant, comme Bamako a insisté pour présenter les forces russes au Mali comme n'appartenant pas à la nébuleuse Wagner, si elles ont commis des exécutions et des actes de torture comme l'indiquent plusieurs témoignages, cela nuit à la Russie, qui ne peut actuellement pas supporter une dégradation supplémentaire de son image. Là encore, la Russie bénéficie de la censure des médias occidentaux.

Les véritables motifs de la censure imposée par le pouvoir malien semblent donc plus larges que la raison qu'il invoque, d'autant plus que les exactions des FAMA sont connues et rapportées dans les médias de longue date : en mai 2020 RFI signalait déjà un rapport de l'ONU dénonçant 101 exécutions sommaires par les FAMA au cours du premier trimestre 202010 .

Le Mali rejoint ainsi la Centrafrique dans sa politique de censure de l'information : en avril 2021 Reporters sans frontières dénonçait déjà la censure à Bangui de sites reportant des exactions de mercenaires russes.

La censure imposée par Bamako va inévitablement s'avérer contre-productive. C'est l'effet Streisand, bien connu (ou pas) sur internet : dans ce cas en voulant offusquer la problématique des exactions à l'encontre des civils maliens, le pouvoir malien attire l'attention internationale sur les témoignages d'exécutions sommaires et d'actes de torture impliquant ses forces armées, sur l'incapacité de ces forces armées à empêcher l'EIGS de massacrer des civils dans l'Azawad11 , et sur sa volonté de cacher à son opinion publique la caractère fondamentalement colonialiste de la guerre que son allié russe mène contre l'Ukraine.

Enfin le communiqué du pouvoir malien tente une comparaison étonnante12 entre les médias français censurés et Radio mille collines. Au premier abord, le caractère absurde de cette comparaison évoque le style caractéristique de l'appareil de propagande russe13 , qui n'hésite pas à propager des absurdités en sachant qu'une part significative des populations ciblées les croiront. Mais cette comparaison est-elle vraiment dénuée de sens? Ce communiqué pourrait ainsi insinuer que RFI propagerait les messages de l'Azawad comme Radio mille collines appelait à l'extermination des Tutsis. Les populations Azawadiennes constitueraient ainsi une menace génocidaire pour le régime malien. Cette comparaison peut être perçue comme un élément narratif permettant de justifier une prochaine offensive contre les mouvements autonomistes de l'Azawad.